L’Accuphase E-800 est un magistral amplificateur qui coiffe la gamme des intégrés du constructeur japonais. Exercice de style certes, ce produit universel et polyvalent est destiné à fonctionner quotidiennement sans jamais faiblir, et cela avec n’importe quelle enceinte. C’est une réalisation sans compromis, dont l’adaptabilité en fait une merveille d’ergonomie et de manipulation. Il est en outre modulaire, aptitude qui lui permet de devenir le centre névralgique d’un système de très haut de gamme en toute simplicité. Musical et magistral, donc, voici le coup de cœur high end de cette rentrée haute en couleurs…
En cette fin de matinée du 1er mai 2020, sur la place de l’église de ce petit village de l’Oise, pas âme qui vive. Un silence assourdissant règne en maître. Cependant, comme jamais auparavant, je perçois distinctement de petits bruits furtifs, bien localisés dans l’espace. D’habitude, ceux-ci sont gommés par l’affairement des villageois, le va-et-vient des voitures, le passage des avions (nous ne sommes pas loin de Roissy). À midi, les impacts successifs des douze coups de cloche de la petite église déchirent le silence en me faisant sursauter. Avec cette acuité auditive nouvelle, je perçois toutes les subtilités des décroissances des résonances tournoyantes qui se superposent en s’échappant des volets abat-sons du clocher (ancêtres lointains des lentilles acoustiques). Voici la démonstration concrète, éclatante, de la notion si importante de rapport signal/bruit. Nous ne soulignerons jamais assez l’incidence de ce paramètre sur la transcription exacte des plus infimes nuances musicales et sur le respect de la vraie dynamique.
Quel rapport avec l’intégré Accuphase E-800 ?
Cette digression peut sembler incongrue et sans rapport avec le colossal intégré Accuphase E-800 dont, point très important, les étages de puissance travaillent en pure classe A. Détrompez-vous. En écoutant analytiquement le E-800, par exemple sur la plage du CD test « The Pulse » – où a été enregistrée la frappe d’une paroi de cloche gigantesque par une énorme poutre en bois – nous avons ressenti les mêmes sensations auditives et… physiques.
L’explication réside dans les performances exceptionnelles à tout niveau sonore (merci les circuits de réglage de volume symétriques AAVA) en matière de rapport signal/bruit et dans les possibilités en courant très nettement supérieures aux autres classes d’amplification, des étages de puissance travaillant en vraie classe A. Le E-800 contrôle jusque dans l’extrême grave, avec une extrême précision, les déplacements de l’équipage mobile, sans aucun laisser-aller propice à du traînage, à des pertes de contrôle entraînant un manque de définition.
Sans tomber dans une litanie ennuyeuse et pour faire court, la face avant regroupe tout ce qu’on est en droit d’attendre des sections préamplis les plus sophistiquées, sans oublier les commandes dissimulées derrière la trappe à basculement mécanique. Cependant, on peut attribuer des mentions spéciales aux magnifiques et précis bargraphes de puissance, au choix des nombreuses sources symétriques ou asymétriques, au réglage de volume de très haute précision et à la sortie casque avec amplis spécifique (remarquable à l’écoute, elle aussi).
À signaler, même si les puristes lèveront les yeux au ciel, que les réglages de niveau grave et aigu sont très bien pensés pour compenser certains manques de la part de nombreuses enceintes acoustiques et venir au secours de sources déficientes. Il en va de même, et là les intégristes audiophiles vont hurler, pour le circuit de loudness qui rééquilibre la balance tonale dans le grave, sans l’embourber, pour des écoutes à très bas niveau.
On retrouve :
- « en double », toutes les entrées et sorties en asymétrique sur Cinch et en symétrique sur XLR (avec, pour ces dernières, une sélection de la phase afin de s’adapter en particulier aux électroniques d’origine US),
- les deux jeux de sortie HP A et B sur de colossaux borniers,
- deux emplacements pour les circuits d’entrée optionnels, enfichables DAC 50 convertisseurs et AD 50 préampli phono MM/MC, deux entrées remarquables par leur souplesse d’adaptation et résultat d’écoute.
À l’intérieur, au sein du très robuste châssis compartimenté pour éviter tout risque d’interférence électromagnétique :
- au centre, le gigantesque transformateur toroïdal à haut rendement entièrement blindé et amorti mécaniquement avec, à l’avant, les deux capacités de filtrage de 60 000 µF chacune ;
- à droite et à gauche, sur de larges dissipateurs thermiques qui évacuent sans bruit les calories dues à une polarisation en pure classe A, des étages de puissance faisant appel à 12 transistors Mosfet montés dans une configuration de 6 push-pull en parallèle. Le courant de polarisation (très élevé) assure un vrai fonctionnement en classe A sans distorsion de croisement ;
- à l’arrière, les étages d’entrée sont dans une configuration totalement symétrique.
Le circuit complexe de réglage de volume, dit AVAA, est monté sur le côté droit, dans un compartiment blindé. Ce circuit de réglage de volume purement analogique de dernière génération améliore le rapport signal/bruit tout en maintenant un parfait équilibre droite/gauche avec absence de diaphonie entre les canaux.
Il est en relation avec la commande rotative dont le mécanisme est digne d’une horloge de haute précision. Il est monté dans un bloc d’aluminium usiné dans la masse avec l’axe de rotation qui tourne sur pallier lisse de haute précision. Cela assure « l’onctuosité » inégalée dans ses mouvements, un plaisir tactile indéniable. Une magnifique télécommande est fournie avec le E-800. Ses circuits récepteurs procurent les impulsions au sélecteur d’entrée et les tensions variables au micro moteur lié à la commande de volume.
On serait tenté de souligner, comme de coutume avec Accuphase, le soin porté à la réalisation qui fixe de nouvelles normes de qualité dans la précision d’assemblage des diverses pièces constitutives. Selon une expression triviale, « on en a vraiment pour son argent ».
Expression qui prend tout son sens quand on compare cet intégré à ceux de certaines autres marques dites de très haut de gamme. Rien d’étonnant non plus dans le fait que les électroniques Accuphase tiennent aussi bien la cote sur le marché de l’occasion. Un point à ne pas négliger et plutôt rassurant en ces périodes d’incertitude…
Le son
L’intégré Accuphase E-800 marque irrémédiablement la mémoire auditive. Sa stabilité de restitution de l’espace stéréophonique, sa justesse de timbre, son pouvoir de très haute définition sur les petits signaux primordiaux à la « musicalité et à l’émotion ressenties » atteignent des sommets.
On ne reste jamais passif à l’écoute du E-800. Il « drive » avec facilité les systèmes à très bas rendement, aux charges complexes avec une stabilité inconditionnelle, ainsi que ceux à haut rendement, sans l’once d’une agressivité, d’effet de projection ni de retenue dans le grave.
La puissance subjective perçue au travers du E-800 est sans commune mesure avec la puissance annoncée de 50 W par canal. Cependant, pour avoir mesuré en son temps (il y a près de vingt ans) l’ampli de puissance A-50V d’Accuphase, lui aussi fonctionnant en pure classe A et donné pour 50 W, nous avions trouvé au banc, en régime continu, 87 W, cela sans aucune trace d’harmonique indésirable sur les spectres de distorsion relevés aussi bien à très faible qu’à forte puissance. Aussi à l’écoute, ce E-800 paraît délivrer 300 W au minimum, car il ne s’essouffle jamais, même avec des enceintes à très faible rendement.
Rappelons que la puissance ressentie est surtout fonction de la manière dont l’électronique fournit son énergie. Or l’intégré E-800, travaillant en pure classe A, procure une puissance dont la composante en courant atteint une valeur extrêmement importante et uniformément répartie, de l’extrême grave à l’extrême aigu. Cette particularité a aussi une répercussion directe sur l’assise abyssale dans l’extrême grave, qui change tout dans l’impression d’immersion totale dans l’acoustique du lieu d’enregistrement. Sur de nombreux extraits de grands orgues, le E-800 explore des contrées dans l’infra-grave, totalement ignorées par d’autres électroniques de très haut de gamme pourtant puissantes. Le E-800 ne s’effondre jamais, il tient les notes les plus basses de l’orgue sans faiblir ni effet de pompage, avec un délié et une articulation hors du commun, même quand les autres parties du spectre sont fortement sollicitées.
On remarque que plus le message musical est complexe, plus le E-800 apporte une lisibilité totale sans les phénomènes classiques d’intermodulation entre les instruments. La confusion est bannie de son vocabulaire. Sur de grandes formations orchestrales classiques, chaque pupitre est à sa place, dans un espace tridimensionnel stable, sans aucun flottement passager, avec des solistes se détachant, parfaitement détourés.
Mais par-dessus tout, le E-800 nous a enthousiasmés par la justesse des timbres sur les voix, les instruments acoustiques.
Il faut bien le dire, de nombreuses électroniques en classe AB ou D « sonnent » faux. On ressent un malaise par le manque de naturel des timbres, pas forcément décelable suite à une première écoute rapide, mais qui devient insupportable à la longue. Cela est particulièrement vrai sur les voix, avec une sensation de sonorités artificielles qui ont tendance à se durcir, accentuant les sifflantes sur les terminaisons de syllabes, avec un bas médium voilé. Or le E-800 transcrit avec une beauté permanente toute la richesse des timbres de voix, cela sans forcer le trait ni se désunir sur les forte.
Sur les passages « murmurés », le E-800 sans arrondir les angles comme avec certains amplis à tubes, laisse totalement percevoir l’élégance du phrasé dans la prononciation de chaque parole, avec les accents toniques bien placés, non étouffés. Au travers du E-800, les formations chorales les plus complexes « chantent » au premier sens du mot, avec justesse, sans confusion. Du « grand art ».
Nous avons essayé de pousser le E-800 dans ses derniers retranchements, sur des plages d’accompagnement ou de solos de guitare basse électrique. Le E-800 assure une rapidité foudroyante sur les attaques des notes, avec des variations de hauteurs très marquées. On reconnaît non seulement instantanément le jeu spécifique des bassistes, mais aussi la couleur sonore des têtes d’amplis utilisées ; impossible de confondre un Ampeg avec un Hartke, Fender, Ashdown, etc.
Le E-800 sait mettre en exergue le sens du rythme, le « groove » comme diraient certains, ce qui manque à beaucoup d’électroniques de très haut de gamme où on finit par « s’ennuyer » (pour être poli) à les écouter. Le E-800 vous secoue, vous entraîne, vous invite à taper du pied pour marquer le tempo, avec une joie communicative.
Nous ne sommes pas les seuls à éprouver ce ressenti ; différents auditeurs présents au cours de nos séances d’écoute ont été unanimes sur l’envoûtement musical du E-800. Rarement une électronique a fait autant l’unanimité depuis des années !
Notre conclusion
À l’heure du choix, l’intégré E-800 a vraiment tout pour lui. Il regroupe, en son majestueux coffret, des circuits qui sont l’aboutissement d’un véritable travail de bénédictin. En effet, depuis près de cinquante ans, les électroniciens de cette firme « familiale », qui a toujours su garder son indépendance financière et n’a pas subi les aléas des repreneurs avides de plus-value, sont aussi des mélomanes. Ils savent prendre leur temps pour améliorer la topologie des circuits, rechercher des composants par comparaisons longues et fastidieuses, apportant de réels avantages non seulement aux mesures mais surtout à l’écoute.
Il s’agit certes d’un gros investissement, mais il convient de souligner qu’en plus de sa musicalité envoûtante, le E-800 est doté d’une très grande souplesse d’utilisation (entrées modulables) et d’une qualité de fabrication présageant d’une fiabilité enviable. Il constitue, à notre avis et nous ne nous moquons pas du monde, « d’une affaire » par rapport à ce que la concurrence peut proposer en éléments séparés ou intégrés de valeur souvent deux fois supérieure.
Le E-800 redonne ses lettres de noblesse à la vraie classe A. À moindre d’être de très mauvaise foi ou complètement sourd, il procure un plaisir d’écoute rarement égalé.
FICHE TECHNIQUE : ACCUPHASE E800 (amplificateurs intégrés)
- Origine : Japon
- Prix : 15 000 €
- Dimensions : 465 x 239 x 502 mm
- Poids : 36 kg
- Puissance :
- 2 x 50 W en pure classe A sur 8 Ω
- 2 x 100 W en pure classe A sur 4 Ω
- 2 x 200 W en pure classe A sur 2 Ω
- Distorsion par harmoniques : 0,03 %
- Distorsion par intermodulation : 0,01 %
- Bande passante : 3 Hz – 150 000 Hz
- Facteur d’amortissement : 1 000 avec 8 Ω à 50 Hz
- Sensibilités d’entrée haut niveau : 100 mV/20 kΩ (asymétrique), 100 mV/40 kΩ (symétrique)
- Module optionnel phono AD-50 : Gain MC 60 dB MN 40 dB
- Impédance d’entrée ajustable : 30/100/300 Ω et 47 kΩ
- Module optionnel numérique DAC-50
- Entrée USB : Signal DSD
- Fréquences d’échantillonnage :
- 2,8/5,6/11,2 MHz/1 bit
- PCM 32 à 384 kHz/32 bit
- Entrée optique PCM : 32 à 96 kHz/24 bit
- Entrée coaxiale PCM : 32 à 192 kHz/24 bits
- Rapport signal/bruit haut niveau symétrique ou asymétrique : 104 dB
- Consommation suivant norme IEC : 390 W
Paru dans VUMETRE n° 31
VUMÈTRE N°31
Septembre – octobre 2020 Version papier : 10 € (frais de port inclus) / Version digitale : 7 €